Le Sénat approuve la restitution des têtes maories

La proposition de loi de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, membre de l’ancienne équipe municipale de Rouen, vient d’être approuvée. Elle doit encore être soumise aux députés. Il s’agirait de restituer à la Nouvelle-Zélande les têtes maories conservées dans les musées français.

Un certain nombre de pays européens sont déjà engagés dans une telle démarche. Cette proposition fait suite au débat concernant la restitution de la tête maorie conservée au Muséum d’histoire naturelle de Rouen. J’avais consacré un article au mois de mai à cette question et plus largement, à la présence des restes humains dans les musées.

P. S. : Voici un extrait de l’intervention de Catherine Morin-Desailly. Les critères selon lesquels une restitution pourrait être entreprise sont les suivants :

« Consciente de l’importance et de la difficulté de la question, qui ne peut être un prétexte pour ouvrir la boite de Pandore comme on l’a trop entendu dire, j’ai souhaité m’inspirer pour cadrer la présente proposition de loi de quatre critères retenus par la Ville de Rouen pour motiver sa décision de restitution de la tête maorie : -le premier est que le pays d’origine d’un peuple contemporain ait formulé la demande de restitution ; – le second critère est que ce reste humain ne fasse pas l’objet de recherches scientifiques ; – le troisième est qu’il ne soit pas destiné à être exposé ni conservé dans des réserves dans le pays d’origine mais qu’il soit inhumé ; – et enfin le dernier critère est que le reste soit issu d’actes de barbarie ayant entraîné la mort ou de pratiques attentatoires à la dignité humaine ; on sait en effet que toutes ces têtes ne sont pas forcément des têtes d’esclaves mais aussi des têtes de chefs guerriers. Il n’en reste pas moins qu’elles ont été volées comme trophées à une époque où les musées occidentaux étaient largement prédateurs. » (j’ai mis en gras certains passages)

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5 commentaires

  1. Muséologique

    Votre question est très intéressante. La polémique existe depuis 25 ans. Certains disent que ces marbres ont été enlevés de manière illégitime à la Grèce et que par conséquent, la demande de restitution est légitime.

    Personnellement, comme je le disais dans ma précédente réponse, si l'on en venait par exemple à restituer les pièces acquises au XIXe siècle provenant d'un trafic, les musées se videraient rapidement. Les lois qui régissent la protection du patrimoine sont relativement récentes, notamment celles concernant le patrimoine archéologique. Du coup je ne pense pas personnellement que l'on puisse restituer toutes ces pièces acquises anciennement. Il faudrait aussi dans ce cas rapatrier les oeuvres aujourd'hui présentées au Louvre et issues des campagnes napoléoniennes. Cela fait partie de l'histoire des collections et comme je disais plus haut, je pense par contre qu'il est nécessaire de communiquer autour de cette histoire.

    Concernant les marbres du Parthénon, le monument est toujours en élévation. On peut donc en profiter pour présenter les marbres dans leur contexte, dans un musée où l'on a prévu leur mise en valeur. C'est de ce point de vue que je "légitime" le retour des pièces. Je suis bien consciente que d'autres demandes pourraient alors être formulées, mettant en avant une présentation dans le contexte d'origine… Il faut sûrement étudier cela au cas par cas. On voit bien, concernant le cas spécifique des restes humains, que des critères très précis sont posés pour la restitution des têtes maories.

    Par ailleurs, les territoires ont une histoire et la propriété juridique d'un site peut évoluer au fil du temps. Cela fait aussi partie de son histoire. Les temples grecs de la côte turque dépendent de l'Etat turc, ce qui ne les empêchent pas de témoigner de la culture grecque antique.

    J'espère que je réponds à votre question. En tout cas je trouve très intéressant de pouvoir discuter de ces sujets plutôt complexes.

  2. Snorri

    Je suis d'accord avec vous, excepté sur un point : je ne comprends toujours pas quel droit moral, quelle légitimité le gouvernement grec a sur les marbres du Parthénon. Qu'il les réclame parce qu'il pourrait les exposer à proximité du site est une chose ; qu'il les réclame parce que "c'est grec" ou que c'est "leur" patrimoine en est une autre. N'est-ce pas le patrimoine de tous, ou du moins ne devrait-ce pas l'être ? Et comment faire, alors, pour les variations de frontières et de territoires : le gouvernement grec a-t-il des droits légitimes sur les vestiges issus de colonies grecques antiques, dont les sites appartiennent aujourd'hui à d'autres pays ? Ou bien cela fait-il partie du patrimoine de ces autres pays, quoiqu'il soit également grec ?

  3. Muséologique

    (la suite… c'était trop long!)

    D’un autre côté, les musées européens ont été constitués en grande partie sur des saisies en contexte guerrier, des partages de fouilles et d'autres acquisitions pouvant être l'aboutissement de pillages. Si l'on décidait de restituer l'ensemble de ces pièces, les musées pourraient se vider de manière conséquente. Cela remet en cause l’existence même d’un certain nombre de grands musées européens. Or nous ne pouvons pas refaire l’histoire mais l’on peut peut-être considérer les demandes au cas par cas et surtout aborder cette question de manière différente.

    J'ai déjà constaté que certains musées d'anthropologie par exemple ne présentaient pas clairement le contexte d'acquisition des œuvres. Peut-être ne pouvons-nous pas tout restituer, mais nous pouvons à coup sûr présenter clairement au public l'histoire des collections, y compris les épisodes les plus sombres. On peut aussi mettre en avant, dans le cas des collections d'anthropologie, la fonction de ces pièces dans leurs cultures d'origine plutôt que de trop privilégier une approche esthétique. Un partenariat plus important avec d'autres structures muséales dans le monde, axé sur l'histoire de la constitution des collections, permettrait peut-être aussi d'éviter le clivage "musées européens détenant ces pièces/pays les réclamant". Cela peut prendre la forme de prêts respectifs, d'expositions itinérantes… Enfin c'est juste mon avis, il vaut ce qu'il vaut 😉

  4. Muséologique

    Merci pour votre commentaire, c'est vraiment intéressant d'avoir des réactions. Je n'avais pas abordé la question des restitutions en général, qui est aussi problématique.

    Concernant les restes humains, je distinguais personnellement les têtes maories, que leur communauté d'origine demandait à inhumer, des momies égyptiennes par exemple. Quelques générations seulement séparent les communautés néo-zélandaises des restes de leurs ancêtres présents dans les musées européens. La restitution des têtes maories permet donc à des groupes humains de pratiquer les rites nécessaires à l'inhumation d'un ancêtre. Effectivement, si l'on transposait la situation dans notre société, je crois que nous ne considérerions pas de la même façon la présence de corps de nos arrière-grands-parents dans des musées étrangers et celle d'un sarcophage vieux de 1000 ans. Le contexte d'acquisition de ces têtes maories -un commerce et les actes qui permettaient de l'alimenter- rentre aussi en ligne de compte dans le choix de leur restitution.
    En tout cas, je crois que la présentation muséale d’un reste humain doit être réfléchie.

    L’article du code de déontologie de l'ICOM parle en effet également des objets sacrés. Je pense que cette mention permet là aussi de s’adapter aux croyances de sociétés contemporaines pour lesquelles ces objets ont encore ou ont eu dans un passé récent une fonction rituelle.

    Vous évoquez les marbres du Parthénon que la Grèce souhaite récupérer. La question est forcément complexe. Le débat existe depuis deux cents ans. Quatremère de Quincy, à la toute fin du XVIIIe siècle, remettait en cause les saisies d'œuvres d'art, pensant que le musée n'était qu'un entrepôt d'objets qui ne pouvait rendre compte des liens de l'œuvre avec son environnement, avec les hommes.

    Il est légitime pour un pays de demander la restitution d’un patrimoine qui lui a été soustrait dans un contexte politique particulier. A partir de là, on peut s’interroger sur la mise en œuvre concrète de ces restitutions, au cas par cas, et ce que cela signifie pour les musées.

    Un argument a anciennement été mis en avant, à savoir que les musées d'Europe occidentale étaient mieux à même de protéger ces vestiges que leur pays d'origine. Cet argument servait surtout, à mon sens, à justifier ce que l’on était en train de faire et considérait les pays en question de manière ethnocentriste.

    Dans le cas des marbres du Parthénon, il s'agit effectivement d'éléments d'architecture d'un monument toujours en élévation. Les marbres pourraient être vus à proximité du monument dont ils proviennent, ce qui présente un intérêt pour la compréhension de ces vestiges. Je pense que cela compte dans la décision.

  5. Snorri

    Bonjour,

    Ayant découvert votre blog via votre commentaire sur le mien, je vous en félicite tout d'abord. Les musées, la conservation, encore un vaste domaine qui reste une zone d'ombre dans les études d'histoire, sauf pour ceux qui "obliquent" vers la préparation des concours correspondants…

    Je voudrais avoir votre avis sur cette question des restitutions, en général, pas seulement de restes humains. Personnellement, elle me dérange assez. Par exemple, la Grèce réclame (encore et toujours) les fameux marbres dits "d'Elgin". Mais après tout, quel droit a un pays, plus de 2000 ans après, sur de telles oeuvres ? Reste-t-il en Grèce un seul descendant de Phidias ? Le seul argument intéressant étant qu'ainsi, les marbres pourront être exposés dans un musée à partir duquel l'Acropole est visible, donc "en contexte" (à condition de faire un effort certain d'abstraction, le musée n'étant tout de même pas tout proche).

    Mais si les statues grecques sont en Grèce, les têtes maories en Nouvelle-Zélande, etc. comment avoir encore sous les yeux des objets venant de cultures lointaines ? Il y aurait des solutions, bien sûr – les prêts entre musées, et un développement des expositions virtuelles, consultables sur Internet. Mais je me pose tout de même la question – malgré les "musées occidentaux largement prédateurs", quels droits supplémentaires le gouvernement grec a-t-il sur les sculptures du Parthénon, par rapport au gouvernement britannique, ou tout autre gouvernement ? À part le fait, à mon avis bien maigre, d'occuper des milliers d'années plus tard le même site. Je serais presque tenté de suggérer que les restitutions se fassent non aux gouvernements locaux actuels, mais à une entité internationale telle que l'UNESCO.

    Bien sûr le cas que vous évoquez soulève une autre question – doit-on traiter de manière particulière les restes humains ? Je note dans votre autre billet sur le sujet cet élément : "Les collections composées de restes humains ou d’objets sacrés ne seront acquises qu’à condition de pouvoir être conservées en sécurité et traitées avec respect. Cela doit être fait en accord avec les normes professionnelles et, lorsqu’ils sont connus, les intérêts et croyances de la communauté ou des groupes ethniques ou religieux d’origine." Mais, cela s'applique-t-il uniquement aux communautés (etc.) encore représentées aujourd'hui, ou bien doit-on traiter les vestiges issus de temples grecs comme les objets sacrés qu'ils étaient pour une religion aujourd'hui disparue, et qui ne peut plus guère protester ? Autrement dit, s'agit-il d'un critère moral universel, ou simplement de la prise en considération de la "capacité au scandale" de tel objet, de la puissance de "lobbying" de telle communauté ?