La place occupée par les restes humains dans les musées est un sujet dont on a beaucoup parlé ces derniers temps. Il s’agit notamment de l’exposition du corps humain et de la question de la restitution aux communautés qui le demandent.
La Ville de Rouen, en prenant la décision en 2007 de rendre à la Nouvelle-Zélande une tête maorie, a (re)lancé un débat de nature juridique et éthique. Récemment, l’exposition itinérante « Our body », qui met en scène des corps humains, a été interdite.
Que dit l’ICOM (Conseil international des musées) sur les collections comportant des restes humains ? Son Code de déontologie stipule :
Les collections composées de restes humains ou d’objets sacrés ne seront acquises qu’à condition de pouvoir être conservées en sécurité et traitées avec respect. Cela doit être fait en accord avec les normes professionnelles et, lorsqu’ils sont connus, les intérêts et croyances de la communauté ou des groupes ethniques ou religieux d’origine (2.5. Matériel culturel sensible).
Cet article met en avant le respect à avoir vis-à-vis de ces collections et la considération à apporter aux communautés d’origine. Un autre article (4.3. Exposition des objets « sensibles ») invoque également le tact dont il faut faire preuve pour l’exposition des restes humains.
Les têtes maories momifiées
Un certain nombre de musées européens conserve des têtes tatouées d’hommes maoris (Toi moko en maori). Au XIXe siècle, des parties de corps humains furent ainsi emmenées hors de Nouvelle-Zélande. Il faut aussi signaler l’existence d’un commerce de têtes tatouées dès le XVIIIe siècle. Le musée Te Papa de Wellington coordonne un programme de rapatriement des restes humains maoris, en liaison avec les différentes tribus concernées. Un appel aux institutions européennes susceptibles d’en posséder a ainsi été lancé. Une fois restituées, les têtes font l’objet d’une démarche d’identification et sont conservées en attendant dans un espace sacré au sein du musée.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la démarche de la Ville de Rouen. Le Muséum d’histoire naturelle possède en effet une tête maorie, conservée dans les réserves depuis 1875. Une délibération municipale officialise cette restitution, qui sera finalement rejetée en 2008 par la Cour administrative d’appel de Douai. Le Ministère de la Culture avait souligné que cette décision ne pouvait être prise ainsi, que ce musée classé « Musée de France » aurait dû soumettre cette question à une commission, avant d’envisager un éventuel déclassement de cette tête humaine, c’est-à-dire sa sortie du domaine public. Le problème est d’autant plus important que d’autres musées français, comme celui du quai Branly, possède des têtes maories. Pour voir la cérémonie qui avait eu lieu à la mairie de Rouen, avec l’interview de plusieurs personnes impliquées dans ce dossier, c’est ici.
Il faut noter qu’une quarantaine d’institutions à travers le monde, comme les musées de Liverpool, ont répondu favorablement à la demande du gouvernement néo-zélandais.
Antécédents et débats actuels
Que penser du débat autour de la restitution ? Il me semble que des éléments de nature diverse sont à prendre en compte.
Lorsqu’il s’agit d’une demande comme celle de la communauté maorie, la restitution permet à des personnes d’honorer leurs ancêtres selon leurs rites. La question des restes humains s’applique alors à des personnes décédées il y a 150 ans. Nous ne sommes certainement pas dans la même situation lorsqu’il s’agit de momies égyptiennes, qui n’ont pas de descendants directement impliqués. En Égypte, les momies sont exposées dans les musées. J’ai moi-même visité une salle consacrée aux momies au musée du Caire (il est intéressant de noter qu’elles étaient justement exposées de manière spécifique, à part). A ce propos, l’exposition « Les Portes du ciel » au musée du Louvre rassemble plusieurs masques funéraires. Or, une tête humaine, dont le visage est couvert de feuille d’or, est présentée au même titre que les masques, dans un seul alignement. Peut-être cette tête aurait-elle pu être présentée autrement ? C’est en tout cas une question qui rentre dans le débat.
Par ailleurs, les conditions dans lesquelles ont été acquis ces restes humains ont toute leur importance. Une acquisition résultant d’un trafic est en effet entachée. Là se pose la question des conséquences de la politique colonialiste et de son traitement actuel. Il est intéressant de considérer la décision qui avait été prise en 2002 pour Saartjie Baartman, dite « Vénus hottentote ». Cette personne avait été exhibée en Europe par un montreur d’animaux. Après sa mort en 1815, son corps fut conservé au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Sa dépouille a été rendue à l’Afrique du Sud. Le rapport de P. Richert soulignait déjà :
Il a souhaité qu’une réflexion soit engagée sur le statut des collections scientifiques de ce type. Il s’est interrogé, à ce titre, sur les conditions dans lesquelles les dispositions de la loi relative aux musées de France concernant le statut des collections leur seraient appliquées.
La loi relative aux musées de France (2002) n’apporte pas, à ma connaissance, de nouvel éclairage sur cette question.
Le débat est complexe puisqu’il n’existe pas de consensus international et que chaque pays se positionne selon ses dispositions légales et sa manière de concevoir la mort. C’est pourquoi un symposium international sur ce sujet s’est tenu au musée du quai Branly l’année dernière. Le Conseil international des musées y soulignait d’ailleurs que des solutions intermédiaires pouvaient être envisagées, comme le dépôt ou le prêt.
Comme le note Aline Cheynet de Beaupré (article publié le 27 avril 2009 sur le blog Dalloz) :
Mais, le législateur est récemment intervenu pour modifier les dispositions en matière funéraire, dans le souci d’un renforcement du respect dû au corps (loi du 19 déc. 2008). Si le statut des cendres figurait au cœur de cette loi, l’article 16-1-1 nouveau du code civil expose clairement que :
« Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ».
Ce nouveau texte a offert un argument décisif aux opposants à l’exposition [« Our Body »].
Je termine sur deux ouvrages qui sont intéressants si l’on veut mettre un peu en perspective la question de la place des restes humains au musée :
- N. Bancel, P. Blanchard, G. Boëtsch, E. Deroo, S. Lemaire, Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines, La Découverte, 2004.
- C. Cruchaudet, Groenland Manhattan, Delcourt, 2008.
Il y a un très bon site sur le sujet des zoos humains.
C'est en effet une question très délicate, et qui nous renvoit à notre histoire. Pour ma part, la restitution doit avoir lieu (aprés un déclassement sinon cela remet en cause l'inaliénabilité des collections publiques) lorsque les conditions dans lesquelles les restes humains ont été acquis sont douteux (comme c'est le cas avec les têtes maoris). Mais cela risque d'ouvrir un autre débat, celui de la restitution des objets exposés dans nos musées et qui ont été acquis au fil des siècles dans des croisades, des campagnes militaires ou durant la colonnisation…